Conférence « European GNU Radio Days 2023 » autour de la « synchronisation » dans les communications radiofréquences

Magazine
Marque
Hackable
Numéro
48
Mois de parution
mai 2023
Spécialité(s)


Résumé

GNU Radio est une infrastructure de traitement numérique de signaux échantillonnés en temps discret composée de bibliothèques de blocs de traitements connectés entre eux pour former une chaîne d’analyse des signaux synthétiques ou produits par des interfaces d’acquisition matérielles. Une soixantaine d’utilisateurs et développeurs européens de GNU Radio se sont retrouvés à Paris pour échanger leurs résultats et expériences autour de la thématique « synchronisation ».


Body

Fig1-s

Figure 1 : Logo de l’édition 2023 de la conférence « European GNU Radio Days ».

L’édition 2023 de la conférence « European GNU Radio Days » s’est tenue les 29 et 30 mars à proximité de l’Observatoire de Paris autour du thème de la « synchronisation » à tous les niveaux de la chaîne de communication radiofréquence, de l’oscillateur local qui cadence l’émetteur et le récepteur pour transposer l’information en bande de base vers la bande radiofréquence pour multiplexer le spectre et exploiter des antennes de dimensions raisonnables, au cadencement de l’échantillonnage des symboles à la propagation de messages logiciels (tags) lors de la détection d’événements spécifiques tels que les préambules, au réveil d’une multitude de récepteurs spatialement distribués, mais censés observer un même événement.

Fig2-s

Figure 2 : Utilisation de l’identifiant unique des stations FM commerciales pour trouver le début de chaque message RDS contenant le nom de la station et du programme dans une séquence continue de bits transmis en modulation de phase devant un auditoire attentif d’une cinquantaine de participants.

Alors que la conférence devait être un retour aux réunions en présentiel après trois éditions annulées puis en virtuel entre un comité restreint d’organisateurs, le rejet de la traditionnelle Software Defined Radio devroom par le FOSDEM a changé la donne en ouvrant la perspective d’une réunion de plus grande ampleur. Ainsi, au lieu d’héberger la conférence dans le temple du Temps-Fréquence légal français qu’est le laboratoire SYRTE (« SYstèmes de Référence Temps Espace ») de l’Observatoire de Paris, une salle permettant de regrouper 70 participants héberge pendant 1,5 jour les 13 présentations portant autour du thème de la radio logicielle mise en œuvre au moyen de l’environnement libre qu’est GNU Radio. La soixantaine de participants (Fig. 2), bien que moindre que la dernière édition de 2019 en présentiel [1], est relativement satisfaisante, compte tenu des difficultés de déplacements rencontrées par les participants avant et pendant l’événement.

1. Synchronisons !

Une liaison radiofréquence vise à transporter de l’information au travers d’un médium immatériel qu’est l’éther en portant le signal sur une porteuse électromagnétique au travers de divers principes de modulation. Le pendant coté récepteur est la démodulation qui vise à éliminer l’intermédiaire de transport qu’est la porteuse pour retrouver l’information, et le drame vient de ce que les deux oscillateurs de l’émetteur et du récepteur ne sont pas les mêmes et donc de fréquences différentes, ne serait-ce qu’à cause du décalage Doppler si un des interlocuteurs est en mouvement (Fig. 3). Tout le problème de la liaison tient donc dans la synchronisation des deux extrémités au niveau de l’oscillateur local (cas des modulations cohérentes en particulier en phase), du moment de l’échantillonnage des symboles, voire de la date de démarrage de l’acquisition si l’émission est brève et non répétitive.

Fig3-s

Figure 3 : Toute la problématique d’une liaison radiofréquence tient au fait que les oscillateurs cadençant l’émetteur TX – tant au niveau du débit d’information numérique (baudrate) que de transposition en bande radiofréquence RF (oscillateur local LO) – sont spatialement séparés du récepteur RX. Ainsi dans un mode cohérent de modulation (p. ex. modulation de phase) qui nécessite de reproduire la porteuse émise du côté du récepteur, la démodulation vise à compenser les écarts entre oscillateurs radiofréquences tandis que la synchronisation des symboles vise à échantillonner sur les états stables du signal démodulé en évitant les transitions instables. Si tout se passe bien, l’information émise est reproduite du côté du récepteur et la liaison numérique radiofréquence est fonctionnelle.

Sans prétendre respecter l’ordre des présentations orales au cours de la conférence, le problème de la date de début d’acquisition est posé avec une résolution de la seconde par Isaac Tupac de l’observatoire de l’ionosphère de Jicamarca au Pérou pour lequel un émetteur – matériel propriétaire fermé au fonctionnement inconnu – génère des ondes électromagnétiques balayant les fréquences du MHz à la quinzaine de MHz en vue d’être observées par un réseau de récepteurs pour mesurer le temps de vol pour sonder la distance à laquelle l’ionosphère réfléchit chaque fréquence. Comme la fréquence de coupure plasma fp à laquelle une couche ionosphérique se comporte comme un miroir dépend de la densité d’électrons Ne≃ 1010..1012 électrons/m3 entre 50 et 1000 km d’altitude, et cette fréquence de coupure est d’autant plus élevée que la densité d’électrons est élevée

formule1-s 4

avec me=9,1· 10−31 kg la masse de l’électron de charge e=1,6·10−19 C dans un milieu de permittivité du vide ε0=8,9·10−12 F/m, le profil de la densité d’électrons Ne dans la haute atmosphère et son évolution dans le temps en fonction des conditions météorologiques spatiales – notamment le vent solaire, mais aussi simplement lever et coucher du soleil – sont observées. Dans ce contexte, un réseau de récepteurs par radio logicielle doit démarrer à la seconde près pour observer le balayage de fréquences de l’émetteur et ainsi cartographier la densité d’électrons en fonction de l’altitude. La dépendance de la permittivité de l’ionosphère avec la densité électronique induit le phénomène tout à fait fascinant du tropospheric scatter qui renvoie les ondes émises vers le ciel en direction du sol – comme le ferait le cœur d’une fibre optique – permettant les liaisons radiofréquences longues distances avant l’avènement des satellites, et en particulier vers les régions polaires au cours de la guerre froide (tant côté américain vers l’Alaska que côté russe vers la Sibérie) ou les liaisons nord-sud au cours de la guerre du Vietnam [2].

À l’extrême inverse, Paul Boven du JIVE aux Pays-Bas évalue l’utilisation du réseau informatique dédié White Rabbit conçu au CERN pour synchroniser les récepteurs par radio logicielle d’un réseau de radiotélescopes. Dans ce cas, ce n’est pas le démarrage de l’acquisition, mais les oscillateurs locaux eux-mêmes qui sont synchronisés, en fréquence et en temps grâce à la compensation du temps de vol de l’onde électromagnétique dans les fibres optiques par mesure dans les deux sens (aller et retour). La présentation de Paul se démarque des approches classiques se limitant à convertir une fluctuation de temps de vol sub-60 ps (le temps qu’il faut pour une onde électromagnétique pour se propager de 1 cm dans une fibre optique) en une fluctuation de phase de la porteuse radiofréquence observée, en considérant cette fois l’impact de la fluctuation aléatoire de phase de l’oscillateur sur la corrélation entre deux antennes observant le même signal – par exemple une source radioastronomique, mais ces considérations s’appliquent directement au RADAR à bruit que nous avions décrit dans ces pages [3] – par la fonction de cohérence C(τ) pour un temps d’intégration τ. En effet, alors qu’il est évident qu’un écart df entre oscillateurs locaux de l’émetteur et du récepteur va empêcher l’accumulation cohérente d’énergie lors de la corrélation d’un code de durée T>1/df puisque l’intégrale de exp(j2πdf·t) sur une ou plusieurs périodes s’annule, le cas des fluctuations aléatoires de phase ϕ(t) sur la durée T n’est pas si simple. Ainsi, [4] et [5] expliquent que

formuleA-s

indique la perte de cohérence liée aux fluctuations de phase en évaluant

formuleB-s

puisque

formuleC-s 0

la solution s’explicite dans le cas de fluctuations de phase distribuées de façon gaussienne (donc caractérisées uniquement par les deux premiers moments que sont la moyenne supposée nulle et l’écart type σ) par

formuleD-s 0

qui peut se relier à la variance d’Allan, un estimateur de la stabilité d’un oscillateur en fonction de son temps d’intégration qui permet de caractériser les divers types de bruits qui affectent un oscillateur. La beauté de cette présentation est qu’il existe une relation analytique entre la perte de cohérence et la variance d’Allan dans le cas des bruits blancs de phase que nous venons de décrire et de fréquence. Ainsi, les performances analogiques de l’oscillateur local qui se charge de la transposition de fréquence pour amener le signal en bande de base ainsi que le cadencement du convertisseur analogique numérique impacteront directement les capacités du système numérique à extraire le signal du bruit.

Fig4-s 0

Figure 4 : Paraboles de communication depuis le SYRTE/Observatoire de Paris vers le satellite Telstar 11N pour les échanges bidirectionnels de partage de temps et de fréquence (TWSTFT). Photographie J. Achkar (SYRTE).

Finalement, votre serviteur considère l’impact de la synchronisation des acquisitions aux deux extrémités d’un lien bidirectionnel satellitaire : alors que nous avons appris à l’école qu’un satellite géostationnaire est fixe dans l’espace, il n’en est en pratique rien puisque les corps parasites du Système solaire que sont la Lune et le Soleil tendent à tirer le satellite de son point d’équilibre et lui faire suivre une trajectoire en spirale. Ce mouvement d’une vingtaine de kilomètres autour du point d’équilibre se traduit par une variation du temps de vol sol-satellite-sol d’environ 150 µs avec une périodicité journalière, ou en d’autres termes une vitesse du satellite pouvant aller jusqu’à 5 ns/s. Alors que la mesure bidirectionnelle entre les deux interlocuteurs – tout comme dans White Rabbit – vise à compenser le temps de vol, une erreur d’une seconde entre les intercomparaisons de temps peut se traduire par une erreur allant jusqu’à 5 ns entre les deux horloges comparées, une conclusion rédhibitoire face à la centaine de picosecondes recherchée pour se comparer à l’état de l’art (Fig. 4). Les deux présentations complémentaires sur ce sujet portent d’une part sur la rétro-ingénierie du système commercial fermé SATRE actuellement utilisé par les laboratoires de métrologie, et en particulier sur la compréhension du protocole numérique émis au-dessus des codes pseudo-aléatoires pour la mesure de temps de vol tel que décrit à https://github.com/oscimp/gr-satre, et d’autre part une implémentation libre de fonctionnalités similaires sur des émetteurs et récepteurs de radio logicielle décrite à https://github.com/oscimp/amaranth_twstft. La perspective est d’envisager l’utilisation unidirectionnelle pour diffuser à l’échelle européenne les informations de temps et fréquence issues des laboratoires de métrologie, puisque de toute façon ces informations sont diffusées toutes les heures paires UTC.

2. Passage de flambeau

L’aspect pédagogique et éducatif de la radio logicielle a été abordé par plusieurs orateurs. En effet, l’enseignement de la radio logicielle s’avère un problème complexe et frustrant, permettant d’un côté d’aborder une courbe d’apprentissage relativement douce en commençant par des signaux synthétiques et contrôlés, pour ensuite aborder des chaînes de traitement sur des signaux physiques acquis par interfaces transposant le signal radiofréquence en bande de base avant de l’échantillonner pour produire un flux périodique de coefficients complexes I+jQ, mais d’un autre côté nécessitant une multitude de compétences disparates. Au-delà des bases triviales de mathématiques de manipulation de l’algèbre des complexes et leur représentation dans le plan {réel, imaginaire} de la constellation et de trigonométrie, la compréhension des difficultés d’une liaison radiofréquence implique des concepts de physique (bilan de liaison, géométrie des antennes), de traitement du signal (corrélation, convolution, passage dans le domaine spectral de Fourier), d’informatique et programmation (Python, C++, système d’exploitation), voire d’ingénierie radiofréquence (comportement des amplificateurs et convertisseurs analogiques numériques et numériques analogiques, mais aussi programmation des FPGA) que peu d’étudiants ont le temps de cumuler dans les formations hétérogènes et chaotiques universitaires. Alors que l’accès à des interfaces au coût financier négligeable (moins de 10 euros pour les interfaces RTL-SDR [6] ou RSP1 [7]), le coût intellectuel et les prérequis, voire l’absence de curiosité pour un domaine maintenant devenu omniprésent pour ne même plus être remarqué, rendent l’attrait pour la radio logicielle difficile.

Pourtant, des enseignants tels que Thomas Lavarenne en BTS au lycée Jean-Rostand de Villepinte, Leonardo Cardoso à l’INSA de Lyon et Hervé Boeglen à l’université de Poitiers s’efforcent de diffuser la bonne parole. Ainsi, Thomas propose une illustration de la reproduction de la porteuse de l’émetteur au niveau du récepteur lors de la démodulation d’un signal encodé sur la phase de la porteuse – BPSK (Binary Phase Shift Keying) dans le protocole numérique RDS (Radio Data System) que chacun exploite quotidiennement en affichant le nom de la station FM commerciale qu’il écoute ou en affichant les informations de trafic sur les assistants de navigation – et la détection du préambule à chaque paquet de données (Fig. 2). En effet, comment identifier le début d’une phrase quand l’émetteur envoie une séquence continue de bits sans interruption qui permettrait de reprendre son souffle et recommencer l’écoute au début d’une phrase ? Thomas exploite l’identifiant unique attribué par le CSA à chaque station radiofréquence et documenté sur le Web [8] pour identifier le début de la phrase et décoder les informations transmises pour propager l’information de début dans un tag qui marque la création d’un nouveau fichier pour décodage par post-traitement dans un script Python. Hervé divulgue les détails du fonctionnement des blocs de synchronisation de détection des symboles numériques et d’asservissement du rythme d’échantillonnage transformant plusieurs bits souples (soft bits contenant une valeur continue de tension ou de phase) en un unique bit dur (hard bit valant 0 ou 1), et illustre son propos sur une liaison QPSK (Quad Phase Shift Keying) dont il pollue volontairement le canal de communication en introduisant un écart de fréquence entre émetteur et récepteur. Plus important, cette démonstration se transpose de la simulation à la pratique en émettant depuis un port de PlutoSDR et en recevant par l’autre port : les oscillateurs locaux en émission et réception du composant radiofréquence AD9361 équipant la PlutoSDR étant différents, cette démonstration est représentative d’une « vraie » liaison à distance dans laquelle la constellation cesse de tourner et les bits transmis 2 par 2 sont retrouvés par le récepteur.

3. De la radio à l’optique

Alors que le spectre radiofréquence est saturé, la montée en fréquence de la porteuse qui accompagne l’augmentation de la bande passante et donc des débits de communication se traduit irrémédiablement par un passage de la radiofréquence vers l’optique. Alors que nous apprenions que les longueurs radiofréquences métriques puis centimétriques se transposaient dans le domaine optique aux centaines de nanomètres, il est désormais devenu commun de caractériser un laser comme un oscillateur à quelques centaines de térahertz (la fréquence f=c/λ est de l’ordre de 1014 Hz lorsque l’onde de longueur λ de quelques centaines de nanomètres se propage à la vitesse de la lumière c=3·10m/s). Le lien entre ces deux mondes – du MHz au GHz puis des centaines de THz – reste nécessaire, car les électroniques se cantonnent encore aux radiofréquences, incapables de mesurer un champ électrique associé à une onde optique, mais se contentant de n’en détecter que l’intensité moyenne.

Deux présentations se sont efforcées de faire ce lien radiofréquence-optique. La première par un doctorant du SYRTE, Xiuji Lin, qui s’efforce de montrer comment une horloge optique – la future référence de fréquence qui remplacera immanquablement la vénérable transition micro-ondes de l’atome de césium choisie en 1967 – fait le lien entre optique et radiofréquence en introduisant deux concepts que sont la modulation acousto-optique et électro-optique qui permettent d’ajuster par un signal radiofréquence la fréquence d’un laser soit par une interaction de la lumière avec une onde élastique produite par un substrat piézoélectrique dans le premier cas, soit par une variation de la permittivité relative dans le second cas. Malgré l’évolution des références de fréquence vers le tout optique, les asservissements radiofréquences resteront fondamentaux tant que les détecteurs n’auront pas la bande passante suffisante – quelques centaines de térahertz – pour mesurer le champ électrique et notamment la phase de la porteuse optique : Xiuji montre efficacement comment la radio logicielle permet d’implémenter des schémas complexes d’interrogations de transitions optiques pour en extraire une horloge optique stable. La seconde est une présentation de Maugan De Murcia, doctorant au laboratoire XLIM de Poitiers, qui vise à partager des informations non sur une porteuse radiofréquence, mais sur une porteuse optique selon les préceptes de la radio logicielle. Selon les mêmes contraintes que seul le module (l’intensité) du signal optique est accessible alors que la mesure de la phase est au-delà des capacités d’une électronique compacte telle que l’impose une utilisation grand public, Maugan se voit imposer les mêmes contraintes qu’à l’époque des premiers balbutiements de la liaison radiofréquences, quand Marconi faisait éclater un arc électrique pour produire un signal large bande dans une modulation tout ou rien qualifiée de OOK (On Off Keying) qui n’est pas sans rappeler le code Morse. Ce n’est que vers 1930 que E. Armstrong propose de moduler la fréquence compte tenu des progrès des tubes à vide électroniques, pour passer de la modulation d’amplitude à la modulation de phase, avec tous les bénéfices que nous lui connaissons depuis, tel que le concluait l’article original [9] avec « ... it is technically possible to furnish a broadcast service over the primary areas of the stations of the present-day broadcast system which is very greatly superior to that now rendered by these [AM] stations. This superiority will increase as methods of dealing with ignition noise, either at its source or at the receiver, are improved. » mais comme aujourd’hui, les contraintes commerciales allaient quelque peu retarder le progrès qu’imposait la technologie.

Fig5-s

Figure 5 : Exemple de communication optique par caméra (OCC) dans laquelle un capteur CMOS de type rolling shutter collecte la lumière colonne par colonne, et affiche la modulation d’intensité de la lampe visible sur la partie supérieure de la photographie comme un code barre dans la partie inférieure sur le fond uniforme. Photographie fournie par H. Boeglen et M. De Murcia.

Maugan et Hervé illustrent la communication sur porteuse optique visible (VLC) en observant (Fig. 5) avec le capteur optique de leur téléphone mobile l’intensité lumineuse de l’émetteur modulé en OOK pour communiquer une information. Tel qu’introduit dans [10], « The sensor of a digital camera consists of an array of photodetectors – millions of them, even in commodity devices. As it turns out, it’s less expensive to design the sensor hardware so that it reads off the measurements of one row of photodetectors at a time. » Ainsi, la mesure séquentielle des colonnes du capteur optique permet de retrouver sur une même image les évolutions de l’intensité lumineuse et donc, comme avec un code-barre, le message transmis, et ce bien plus rapidement que les quelques dizaines d’images par seconde de rafraîchissement des capteurs optiques. En effet, chaque ligne met typiquement une dizaine de microsecondes pour être lue, permettant d’observer les variations d’intensité pour des débits de communication allant jusqu’à une dizaine de kbit/s [11].

4. Implémentation de divers protocoles de communication

Fig6-s

Figure 6 : Décodage de signaux COSPAS-SARSAT modulés en phase relayés par satellite et nécessitant donc de compenser le décalage Doppler induit par le mouvement du véhicule spatial, ici par une batterie de filtres introduisant chacun un décalage de fréquence différent.

La différence entre un cours qui se focalise sur un point bien particulier de la liaison radiofréquence, en oubliant rapidement la vision d’ensemble, et la vraie vie tient dans la multitude de points de détails qu’il faut résoudre pour passer du concept au système fonctionnel. Deux dispositifs complets de communication sont présentés : Marcus Müller, développeur principal de GNU Radio en poste temporaire au KIT en Allemagne et son étudiant Felix Artmann, présentent la liaison numérique pour la diffusion de messages de sauvetage par satellite COSPAS-SARSAT (Fig. 6) dans le contexte d’un contrat industriel visant à faire évoluer l’implémentation vieillissante de ce protocole modulé en phase avec tous les déboires de compensation d’écart de fréquence introduit par le mouvement des satellites relais. Wojciech Kaczmarski est venu de Pologne pour présenter une implémentation de son protocole numérique de communication pour radioamateurs M17 que nous avons porté à GNU Radio dans https://github.com/M17-Project/gr-m17 en encapsulant son code d’exemple en C dans le formalisme des blocs de traitement GNU Radio. Bien que plus simple en apparence avec une modulation en 4-FSK, le diable est dans les détails et une liaison fonctionnelle sur porteuse radiofréquence nécessite de corriger quelques problèmes de synchronisation (encore elle) puisque la communication dans un cas idéal fonctionne parfaitement.

Fig7ab-s

Figure 7 : Gauche, chaîne de traitement GNU Radio implémentant la corrélation entre un signal reçu par récepteur de radio logicielle Ettus Research B210 et un fichier contenant la séquence de bits transmis. Droite, démonstration avec un émetteur implémenté dans le FPGA du Zynq de la PynqZ2, et un récepteur B210 transmettant le signal à GNU Radio exécuté sur ordinateur portable. La forme en dent de scie de la courbe bleue sur l’écran, zoomé sur le graphique du milieu dans la capture d’écran de droite, indique une dérive de phase en fonction du temps puisque les deux oscillateurs de l’émetteur et du récepteur sont différents, se traduisant par un décalage dans le temps du pic de corrélation. Sur la capture d’écran, en bas la partie réelle et imaginaire du signal reçu avec des oscillations de période égale à l’écart de fréquence entre oscillateurs du FPGA et de la B210, et en haut les pics de corrélation toutes les 40 ms – longueur du code produit – qui dérivent au rythme de l’écart de fréquence entre les oscillateurs cadençant le FPGA et la B210.

Leo Cardoso aborde le problème de l’utilisation d’algorithmes non linéaires de traitements de signaux – qualifiés de machine learning ou pire, d’intelligence artificielle – par des utilisateurs peu avertis des contraintes et prérequis des algorithmes mis en jeu, mais surtout sur la production de jeux de données de qualité pour valider la phase d’apprentissage avant de tenter de classer les signaux observés selon des pondérations issues de la première étape. Les affres de la synchronisation pour garantir quel message est reçu à quelle date sont mises en évidence par Cyrille Morin qui introduit les diverses stratégies de déclenchements d’une multitude de récepteurs de radio logicielle sur un signal commun, avec la difficulté de maîtriser l’ensemble de la chaîne de signaux entre la bibliothèque haut niveau exposant une API accessible qu’est UHD, et un FPGA qui analyse les signaux fournis (10 MHz et 1-PPS) pour communiquer au récepteur radio l’ordre d’acquisition. Les incantations du type :

1 reset_trig_time = self.usrp_blk.get_time_now().get_real_secs()
2 self.usrp_blk.set_time_next_pps(self.start_clock_value)
3 self.clock_reset = False
4 while not self.clock_reset:
5   curr_usrp_time = self.usrp_blk.get_time_now().get_real_secs()
6   if curr_usrp_time < reset_trig_time:
7     self.clock_reset = True
8     if self.is_rx:
9       self.start_uhd_stream(curr_usrp_time)
10     break
11   time.sleep(0.1)

que nous avions discutées dans [12] tentent de déclencher le début des acquisitions de tous les récepteurs sur un front commun de démarrage (1-PPS) selon :

1 cmd = uhd.stream_cmd_t(uhd.stream_mode_t.STREAM_MODE_START_CONTINUOUS)
2 cmd.stream_now = True
3 self.usrp_block.issue_stream_cmd(cmd),

mais en activant des mécanismes enclenchés par la bibliothèque C++ de haut niveau dans le FPGA qui restent mystérieux.

Cette complexité de la partie matérielle, et en particulier du lien entre la bibliothèque en C et la description matérielle dans le FPGA, est abordée par Gwenhael Goavec-Merou en tentant soit d’ajouter du traitement matériel à côté du gateware existant dans les implémentations libres de récepteurs de radio logicielle – notamment commercialisés par Ettus Research – ou pire en manipulant le flux de données acquises par le FPGA avant de le transmettre au processeur. Gwen s’interroge sur l’efficacité des langages historiques de description du matériel (HDL pour Hardware Description Language) – VHDL et Verilog – face aux descriptions des signaux dans un langage de haut niveau tel que Amaranth ou LiteX/Migen s’appuyant sur Python, en mettant en évidence la flexibilité de la seconde approche dont le code HDL résultant peut être inséré dans les gatewares existants, aux côtés ou dans le flux de données venant du récepteur de radio logicielle. À titre d’illustration, diverses implémentations d’un simulateur de transfert de temps proposé à https://github.com/oscimp/amaranth_twstft/blob/main/Doc/9_PynqZ2.md sont exposées pour démontrer ces concepts de façon visuelle, avec un pic résultant de la corrélation (Fig. 7, haut droite) entre le signal reçu par le récepteur Ettus Research B210 et la séquence produite par le FPGA stockée dans un fichier, qui se déplace au rythme de l’écart de fréquence entre l’oscillateur cadençant le FPGA et l’oscillateur cadençant la B210, pour s’arrêter lorsque les deux dispositifs sont cadencés par la même horloge (Fig. 7).

Conclusion

L’édition 2023 de European GNU Radio Days fut un peu plus ambitieuse qu’initialement prévu, sans pour autant revenir au nombre de participants de la dernière édition présentielle de 2019, mais avec un réel plaisir à retrouver des interlocuteurs avec lesquels nous n’avions interagi que par écran interposé depuis quelques années. La richesse des échanges et la stimulation intellectuelle des interactions sur place mettent en évidence la nécessité de telles conférences, même si une contribution distancielle telle que celle d’Isaac au Pérou se justifie pleinement face aux contraintes d’un déplacement à travers la moitié du globe. Les transparents et résumés des orateurs sont disponibles à https://gnuradio-eu-23.sciencesconf.org tandis que les vidéos des présentations sont disponibles à https://www.youtube.com/channel/UCFzddPoztcHLuwFWRPJTNrQ et en particulier les 13 présentations de cette édition à https://www.youtube.com/watch?v=lYFbYywpH-E&list=PLCfH8xIFcsLk7DrTsI0Ljr5jy7-wo6XiL.

Fig8-s

Figure 8 : Visite des bâtiments historiques de l’Observatoire de Paris après avoir pu voir l’état de l’art des horloges optiques et micro-ondes du SYRTE.

Le point le plus satisfaisant de cette réunion de passionnés académiques, industriels ou d’agences gouvernementales, nationales ou internationales, est de retrouver un auditoire désireux d’échanger sur des points techniques, sans ambition de participer pour un objectif carriériste tel que nous le constatons dans nombre de conférences qualifiées de scientifiques ou prestigieuses dans lesquelles le partage de connaissances n’est que secondaire pour ne promouvoir que des résultats sans en développer les contraintes et objectifs techniques. Nous espérons que le lecteur pourra bénéficier de tels résultats à partir des restitutions proposées autant que nous en avons bénéficié au cours des présentations et discussions qui s’en sont suivies.

Remerciements

Le comité d’organisation de la conférence « European GNU Radio Days » se compose de Hervé Boeglen (XLIM Poitiers), Thomas Lavarenne (lycée Jean Rostand, Villepinte), Cyrille Morin et Leonardo Cardoso (INSA Lyon/laboratoire CITI), Gwenhael Goavec-Merou et Jean-Michel Friedt (institut FEMTO-ST/département temps-fréquence, Besançon). Cette édition de la conférence a obtenu le soutien sans réserve de Yann Lecoq et Michel Lours du SYRTE à l’Observatoire de Paris tant pour la logistique que pour l’organisation des visites de laboratoires pour lesquelles ils sont chaleureusement remerciés (Fig. 8). Les Éditions Diamond ont soutenu cet événement par les pages publicitaires dans GNU/Linux Magazine France et Hackable.

Références

[1] J.-M Friedt, « European GNU Radio Days 2019 », GNU/Linux Magazine France 229, 6–13 (2019) -
https://connect.ed-diamond.com/search/node?keys=&date_interval=0&brands%5B%5D=1&authors%5B%5D=71197

[2] T.M. Rienzi, « Vietnam Studies – Communications Electronics 1962–1970 », Department of the Army (1972) ou en.wikipedia.org/wiki/White_Alice_Communications_System pour les liaisons troposphériques vers l’Alaska.

[3] J.-M Friedt, W. Feng, « Analyse et réalisation d’un RADAR à bruit par radio logicielle », trois articles dans GNU/Linux Magazine France 240, 242 et 244 (2020) :

[4] B. Alachkar, A. Wilkinson & K. Grainge, « Frequency Reference Stability and Coherence Loss in Radio Astronomy Interferometers » – Application to the SKA, J. of Astronomical Instrumentation (2018).

[5] A.R. Thompson, J.M. Moran, G.W. Swenson Jr, « Interferometry and Synthesis in Radio Astronomy », 3 rd Ed, Springer Open (2017) et notamment le chapitre 9.5 intitulé « Phase Stability and Atomic Frequency Standards ».

[6] J.-M Friedt, « RADAR passif par intercorrélation de signaux acquis par deux récepteurs de télévision numérique terrestre », GNU/Linux Magazine France 212 pp. 36– (2018) - https://connect.ed-diamond.com/GNU-Linux-Magazine/glmf-212/radar-passif-par-intercorrelation-de-signaux-acquis-par-deux-recepteurs-de-television-numerique-terrestre

[7] J.-M Friedt, « Le récepteur de radio logicielle RSP1 : 8 MHz de bande passante pour moins de 20 euros », Hackable 44 (sept.-oct. 2022) -
https://connect.ed-diamond.com/hackable/hk-044/le-recepteur-de-radio-logicielle-rsp1-8-mhz-de-bande-passante-pour-moins-de-20-euros

[8] CSA, liste des codes RDS autorisés à https://www.csa.fr/maradiofm/radiords_tableau (colonne « code PI »).

[9] E.H. Armstrong, « A method of reducing disturbances in radio signaling by a system of frequency modulation », Proc. Institute of Radio Engineers 24(5) 689–740 (1936) à https://www.w1yca.org/tech/papers/armstrong_fm.pdf

[10] L. Hardesty, « Extracting audio from visual information » (2014) à
https://news.mit.edu/2014/algorithm-recovers-speech-from-vibrations-0804

[11] T. Nguyen, C.H. Hong, N.T. Le, Y.M. Jang, « High-speed asynchronous Optical Camera Communication using LED and rolling shutter camera », Proc. Seventh IEEE International Conference on Ubiquitous and Future Networks (2015).

[12] J.-M Friedt, « Le temps et son transfert par satellite géostationnaire : réception avec une parabole de télévision et d’une radio logicielle », GNU/Linux Magazine France Hors-Série 121 (oct.-nov. 2022) - https://connect.ed-diamond.com/gnu-linux-magazine/glmfhs-121/le-temps-et-son-transfert-par-satellite-geostationnaire-reception-avec-une-parabole-de-television-et-une-radio-logicielle



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Nombre d’outils, à commencer par make, s’appuient sur la date d’accès aux fichiers pour décider de leur obsolescence. Dans le cadre d’intercomparaisons d’horloges, nous effectuons des acquisitions par radio logicielle sur divers sites géographiquement distincts et nous nous interrogeons sur la date d’acquisition avec une résolution aussi élevée que possible. Que veut dire « élevée » et quel niveau de synchronisation pouvons-nous espérer entre deux ordinateurs exécutant GNU/Linux ? Nous conclurons avec la nécessité de corriger l’erreur de l’oscillateur qui cadence le processeur et démontrerons comment quelques composants passifs sur Compute Module 4 permettent d’atteindre ce résultat.

Du domaine temporel au domaine spectral dans 2,5 kB de mémoire : transformée de Fourier rapide sur Atmega32U4 et quelques subtilités du C

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Hackable
Numéro
49
Mois de parution
juillet 2023
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Nous avons exploré diverses implémentations libres de transformées de Fourier discrètes rapides (FFT), mais leur occupation en mémoire reste de la dizaine de kilooctets. Que peut-on faire avec 2,5 kB de mémoire ? La vénérable note d’application 3722 de Maxim IC nous enseigne comment implémenter efficacement une FFT sur microcontrôleur 8-bits et l’arithmétique en virgule fixe, et la notation en complément à deux au passage.

Exploitation des signaux de référence de navigation par satellite pour un positionnement centimétrique : RTKLIB fait appel à Centipède et l’IGN pour afficher dans QGIS

Magazine
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Hackable
Numéro
48
Mois de parution
mai 2023
Spécialité(s)
Résumé

Nous exploitons un récepteur de navigation par satellites « faible » coût U-Blox Zed-F9P s’appuyant sur divers réseaux de stations de référence (Centipède, IGN) pour utiliser efficacement la bibliothèque RTKLIB pour positionner un dispositif mobile avec une résolution centimétrique. Les informations ainsi produites sont exportées en temps réel dans des Systèmes d’Informations Géographiques (GIS) tels que QGIS (GNU/Linux) ou QField (Android) pour être intégrées dans l’ensemble des informations géoréférencées considérées au cours d’une étude sur le terrain.

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Bénéficiez de statistiques de fréquentations web légères et respectueuses avec Plausible Analytics

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Pour être visible sur le Web, un site est indispensable, cela va de soi. Mais il est impossible d’en évaluer le succès, ni celui de ses améliorations, sans établir de statistiques de fréquentation : combien de visiteurs ? Combien de pages consultées ? Quel temps passé ? Comment savoir si le nouveau design plaît réellement ? Autant de questions auxquelles Plausible se propose de répondre.

Quarkus : applications Java pour conteneurs

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Initié par Red Hat, il y a quelques années le projet Quarkus a pris son envol et en est désormais à sa troisième version majeure. Il propose un cadre d’exécution pour une application de Java radicalement différente, où son exécution ultra optimisée en fait un parfait candidat pour le déploiement sur des conteneurs tels que ceux de Docker ou Podman. Quarkus va même encore plus loin, en permettant de transformer l’application Java en un exécutable natif ! Voici une rapide introduction, par la pratique, à cet incroyable framework, qui nous offrira l’opportunité d’illustrer également sa facilité de prise en main.

De la scytale au bit quantique : l’avenir de la cryptographie

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Imaginez un monde où nos données seraient aussi insaisissables que le célèbre chat de Schrödinger : à la fois sécurisées et non sécurisées jusqu'à ce qu'un cryptographe quantique décide d’y jeter un œil. Cet article nous emmène dans les méandres de la cryptographie quantique, où la physique quantique n'est pas seulement une affaire de laboratoires, mais la clé d'un futur numérique très sécurisé. Entre principes quantiques mystérieux, défis techniques, et applications pratiques, nous allons découvrir comment cette technologie s'apprête à encoder nos données dans une dimension où même les meilleurs cryptographes n’y pourraient rien faire.

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7 article(s) - ajoutée le 01/07/2020
La SDR permet désormais de toucher du doigt un domaine qui était jusqu'alors inaccessible : la réception et l'interprétation de signaux venus de l'espace. Découvrez ici différentes techniques utilisables, de la plus simple à la plus avancée...
8 article(s) - ajoutée le 01/07/2020
Au-delà de l'aspect nostalgique, le rétrocomputing est l'opportunité unique de renouer avec les concepts de base dans leur plus simple expression. Vous trouverez ici quelques-unes des technologies qui ont fait de l'informatique ce qu'elle est aujourd'hui.
9 article(s) - ajoutée le 01/07/2020
S'initier à la SDR est une activité financièrement très accessible, mais devant l'offre matérielle il est parfois difficile de faire ses premiers pas. Découvrez ici les options à votre disposition et les bases pour aborder cette thématique sereinement.
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